La chapelle St-Dourien ou Thurian de Servel (LANNION)

Par J.Y. Marjou

La chapelle de Saint-Dourien (appellation du cadastre de Servel 1826 et de la carte IGN) est située en Servel sur la rive gauche du ruisseau Goas Lagorn ou Goas Lagor (cadastre de Trébeurden 1819 et de Servel 1826) à la limite de Servel.

A 500m au sud de cette chapelle se trouve un lieu-dit Ar Zan (carte IGN) qui pourrait avoir un lien avec la dédicace de la chapelle.

A noter: les appellations divergentes de cette chapelle: St Favien[1] et Saint-Urien[2].

Vu sa position dans le cadastre de 1826 (section du Minihy), avant la Révolution, la chapelle de Saint-Dourien appartient très probablement au Minihy de Servel , rattaché à l’évêque de Tréguier, dont les habitants ne contribuent pas à la Réformation des Fouages donc ne sont pas redevables de cet impôt[3].

Description de la chapelle :

« Chapelle Saint Dourien, dite aussi Thurian, Edifice de plan rectangulaire du XVIIIe siècle, restauré au XIXe siècle .Statues anciennes de la sainte Vierge et Crucifix ancien; statues modernes de saint Tourian et Notre Dame du Mont Carmel dite Itron Varia Mene Karmez »[4]

Au dessus du porche ouest, les armes du seigneur fondateur sont martelées.

Une ancienne carte postale, publiée par Lucien vers 1950, confirme cette description des statues de saint Tourian (coté évangile donc en position de patron de la chapelle) et de Itron Varia Mene Karmez (coté épitre en position de seconde patronne). Cette carte postale montre aussi quelques « Ex Voto » dont un « Merci » et, probablement, la « maquette de bateau » suspendue au plafond devant le maitre autel. Aujourd’hui ces objets ne sont plus visibles dans la chapelle [5].

Les détails visibles sur cette ancienne carte postale ne nous permettent pas de décrire les attributs de ce saint Tourian; sa tête porte une mitre, sa main gauche porte un objet à identifier, sa main droite tient la hampe qui supportait peut-être une crosse ou une croix à double traverse, portait-il le pallium des archevêques métropolitain ?; la bannière, coté évangile, n’est pas lisible donc ne nous renseigne pas d’avantage.

Vie de Saint Thurian :

Une vie de saint Thuriau ou Thurian ou Turiaf ou Thivisiau est donnée par Dom Lobineau qui le fait naitre près de Lanvollon (enclave de Dol), rencontrer saint Michel sous la forme d’une colombe qui vient se poser sur son épaule, devenir évêque de Dol, puis décéder le 13 juillet 749[6].

A noter que cette vie pose le problème de l’incompatibilité entre la date du décès de saint Thuriau et une fonction d’archevêque de Dol.

En effet, Nominoe, décédé en 851, est le premier « roi de Bretagne » à avoir tenté de soustraire les évêques bretons à l’autorité de l’archevêque de la métropole de Tours en essayant de créer une métropole de Bretagne à Dol. Son successeur Erispoe a peut-être fait de même, mais Salomon (qui a assassiné Erispoe) se voit notifier, par le pape Nicolas Ier vers 866, un refus explicite de métropole à Dol et de pallium pour son archevêque. Des papes accordent le pallium à quelques évêques de Dol. Cet archevêché de Dol est à nouveau condamné par le pape en 1094 puis définitivement en 1199 par le pape Innocent III.[7] [8] [9]

D’autres vies de saint Thuriaf ou Thurien ou Thurian ou Thivisiau, probablement issue de la rédaction de Dom Lobineau, sont peu différentes[10] [11]

L’identité de ce saint Thurian pose problème à quelques auteurs ; l’un distingue trois saints différents :

  • saint Urien (fête de 13 juillet, patron de la chapelle de Servel),
  • saint Thuriau (né à Lanvollon),
  • saint Tiviziau(fête le 18 juillet)[12]

NB : Est-ce que l’iconographie, la toponymie confirment ces distinctions ?

Saint Thurian est dit honoré dans les églises de Quintin, Coetlogon, Berric, Crac’h, Landivisiau, Plogonnec, Plumergat, Saint-Thurial, Saint-Thurian, Saint-Thurien et dans des chapelles à Servel, Tregrom (détruite), Corseul (détruite), Plévin (détruite), Baud, Plougoumelin, Plounévez-Moedec, Plumieux [13] [14]

Un auteur a donné une représentation iconographique de saint Thurian:

« Saint Thurian ou Thuriaf, Sanctus. Thurianus, évêque de Dol, confesseur, VIIIe siècle, 13 juillet, invoqué pour la guérison de la fièvre.

Attributs d’archevêque tenant une croix à double branche, bénissant à Landivisiau.

En ornements pontificaux, mitré, chappé, crossé à Lamballe et à Quintin »[15]

NB : ci-dessus, il convient probablement de remplacer « double branche » par « double traverse » ; mais nous avons démontré que la date de décès donnée à saint Thurian est incompatible avec la période où les « rois de Bretagne » ont tenté d’obtenir un archevêque à Dol.

En conclusion :

Nous ne disposons pas d’une date précise pour l’épiscopat et la mort de saint Turiau, dont le dossier hagiographique a fait récemment l’objet d’un bilan par J.C. Poulin dans son excellent ouvrage sur « L’hagiographie bretonne du haut Moyen Âge – Répertoire raisonné », Ostfildern, 2009, p. 355-370, qui donne toute la bibliographie utile[16].

Vie de Itron Varia Mene Karmez

Vie de Santez Marie Mene Karmel, vierge du Mont Carmel en Palestine (aujourd’hui dans le Liban), lieu cité par Isaïe et habité par le prophète Elie. Elle est fêtée le 16 juillet, culte de 1245 ? [17] [18]

Ne faut-il pas voir dans ce second patronage, une manœuvre de l’église romaine pour remplacer le culte de saint Thurian, saint breton d’origine obscure, par une patronne plus canonique « La Vierge Marie » sans changer la date de la fête?

Anciens propriétaire de la Chapelle :

Avant La Révolution, vu sa position géographique, la chapelle Saint-Dourien se rattache probablement à Kerrivoalan (carte IGN) ou Kerivoalan (cadastre de 1826).

Ce Kerivolan appartient (à confirmer) successivement aux familles :

Famille Larmor de Kerivalan en Servel, armoiries : « D’hermines à fasces de gueules accompagnées de six macles de même »[19], dont un Olivier, chanoine de Dol vers 1481, un autre Olivier alloué de la sénéchaussée Royale de Tréguier au siège de Lannion en 1587.

Famille Le Lay, armoiries : « D’argent à la fasce d’azur, accompagné en chef de trois annelets de gueules et en pointe d’une aigle éployée de sable, becquée et membrée de gueules », suite au mariage de Jeanne de Larmor avec Pierre Le Lay, sieur de Kerham, avant 1587.

Famille Kerouzy , armoiries : « D’or au lion morné de sable » , par le mariage de Anne-Gabrielle Le Lay en 1705 avec Joseph-Marie de Kerouzy.

Famille Marbeuf, armoiries : « D’aer à deux épées d’argent garnies d’or et passées en sautoir, les pointes en bas », par le mariage d’Anne-Marie-Charlotte en 1723 avec Claude-François-Marie de Marbeuf. Lors de la Révolution, suite au décès de son frère ainé Jacques-Ange en 1789, l’héritier est Alexandre de Marbeuf, archevêque de Lyon, propriétaire dans 17 paroisses des Côtes du Nord qui émigre[20]. Ses possessions sont donc vendues en « biens nationaux » et il est probable que la chapelle saint Dourien subit ce sort

  1. Carte de Cassini n°170 (Saint-Pol de Léon) , levée en 1782

  2. Gaultier du Mottay « Géographie des des CdN », 1862, page 597.

  3. H.Torchet « Réformation des Fouages de 1426 – Diocèse ou évêché de Tréguier », 2003

  4. R.Couffon « Répertoire des Eglises et chapelle du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier » , SocECdN 1940, t72, p38.

  5. Cliché d’une carte postale ancienne et photographie récente fournis par Mr Harbonville.

  6. Dom Lobineau par Tresvaux « La vie des saints de Bretagne », 1836, pages 235 à 242

  7. Pocquet du Haut-Jussé «Les Papes et les Ducs de Bretagne » , 2000 (réédition de 1928), édition Coop Breizh pages 13 à 36

  8. Duine « La Métropole de Bretagne » 1916, pages 110 à 138

  9. A.Chédeville et H.Guillotel « La Bretagne des saints et des rois » Ve à Xe siècle », 19.84, pages 266 à 273 et 308 à 312.

  10. Garaby « Vies des bienheureux et des saints de Bretagne », 1839, page 168.

  11. P.Guérin « Le Petits Bollandistes – Vie des saints d’après le père Giry », 1880, t8 pages 286 à 288

  12. Tchou « Dictionnaires des Saints Bretons » 1979 pages 347, 358, 362 ; l’auteur de ce livre est dit Le Scouézec qui aurait refusé d’être cité, jugeant son œuvre imparfaite.

  13. R.Couffon « Répertoire des Eglises et chapelle du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier » , SocECdN 1940, t72, page 138

  14. Gaultier du Mottay « Essai d’iconographie et d’hagiographie bretonne » , 1869, p83

  15. Gaultier du Mottay « Essai d’iconographie et d’hagiographie bretonne » , 1869, p83 et 84

  16. André Yves Bourgès dans YahooGroup NoblesseBretonne le 20 mai 2010.

  17. Perrot et Le Moal « Bue ar Zent », 1912, p509.

  18. P.Guérin « Le Petits Bollandistes – Vie des saints d’après le père Giry », 1880, t8 pages 375 à 385

  19. Potier de Courcy « Nobiliaire et Armorial de Bretagne » réédition de 1986.

  20. L.Dubreuil « La vente des biens nationaux dans le département des CdN » , 1912, page 23.