Quelques notes concernant le Mur de La Vierge au Yaudet et la pêcherie du Petit Taureau en Servel

Quelques notes concernant le Mur de La Vierge au Yaudet et la pêcherie du Petit Taureau en Servel

Par François SALLOU

Une histoire du XIème siècle volontairement confuse.

Les derniers travaux des historiens, concernant nos origines, semblent bien indiquer que le pagus civitatis, évoquant Le Yaudet ait été une création de toutes pièces, destinée à donner de la consistance et de la légitimité au siège de Lexovie[1].

Hubert Guillotel[2] estime, par ailleurs, que l’une des deux versions mentionnant, en 1040, l’acte de donation de Plougasnou à l’abbaye de Saint-Georges de Rennes, « aurait été ultérieurement falsifiée [3]».

A cela, on peut ajouter qu’il fut fait « dans le dernier tiers du XIème siècle et dans la première moitié du XIIème, des substitutions de noms destinés à gommer le souvenir d’une réalité politique et religieuse jadis différente » faisant ainsi allusion à la création récente de l’évêché de Tréguier, au détriment de celui du Léon. D’où des conflits frontaliers[4].

Toutes ces incertitudes, tous ces pieux mensonges[5], tous ces effets littéraires, tous ces récits empruntés[6], témoignent de la volonté d’attribuer au siège épiscopal de Tréguier une origine antique. Elles ne permettent donc pas d’élaborer nos origines sur des bases solides.

On peut même dire qu’ils auraient une forte tendance à semer la confusion dans l’esprit des chercheurs.

C’est peut-être ce qui s’est produit quand on s’est intéressé aux observations concernant le mur de la Vierge du Yaudet. Nous retiendrons avec André-Yves Bourges dans la vita de saint Efflam qu’il ne fut pas question, à proprement parler, écrit-il, de pêcherie[7].

Des opinions très diversifiées

L’inventaire des opinons émises fait apparaître une certaine hésitation dans l’esprit des chercheurs :

– Le point de vue du colonel Pérez émis en 1939 : Pour le colonel Pérez, le mur pouvait éventuellement servir à une retenue d’eau protégeant ainsi le promontoire.

– Le Mur des Nains[8] (Le Clec’h , 1956).

– Pierre Le Goff relevait que le mode d’assemblage des blocs avait le caractère grec (Juin 1972 dans le journal local, Le Trégor)

– d’autres émettaient l’opinion qu’il pouvait s’agir d’un quai, d’une voie routière, voire d’un rempart.

– Pour notre part, nous avions émis l’idée qu’il pouvait s’agir d’une structure préceltique[9].

– Jean-Pierre Pinot, en 1991, à la suite de fouilles effectuées par l’ARSSAT, émettait l’idée qu’il s’agissait d’un fragment de l’enceinte d’une agglomération, probablement, écrit-il, de l’âge du fer débordant largement le promontoire[10].

– En 1998, Philippe Guigon écrivait : « C’était très probablement une pêcherie romaine en rapport avec le promontoire »[11].

– En 2002 Loïc Langouët, après avoir retenu le site du Yaudet comme une des deux possibilités de localisation du portus saliocanus signalées par Ptolémée, estime que l’anse de la Vierge offre le caractère d’une zone d’échouage favorable[12].

– Tout dernièrement c’est la solution d’une retenue d’eau destinée à faire fonctionner un ou plusieurs moulins à marée et pouvant jouer aussi le rôle de pêcherie, qui est retenue (Cunliffe et Galliou)[13].

Dans ces conditions, Il nous est permis d’émettre une autre hypothèse reposant, cette fois-ci, sur une documentation.

Les murs de la Vierge et du Petit Taureau forment un ensemble homogène.

Il ne nous semble pas judicieux de tenter une interprétation du Mur du Yaudet, sans faire simultanément, l’étude du Mur de Keradrivin en Servel qui se trouve situé à l’embouchure du Léguer mais sur la rive droite du fleuve cette fois-ci.

Nous avions, en 1974, exposé les remarques suivantes :

  • ces deux structures sont identiques. Les matériaux qui les constituent sont de taille et de nature comparables,
  • elles sont positionnées, l’une comme l’autre, et conçues de manière à lutter contre la poussée des flots maritimes. ’il avait fallu lutter contre le jusant, ou contre la poussée d’une retenue d’eau, elles auraient eu une structure convexe vers l’amont. Dire que cette structure est destinée à retenir l’eau de la marée descendante[14], ne nous semble pas correspondre à la géométrie existante, c’est-à-dire, convexe vers le large,
  • l’alignement des blocs de granite, tant rive gauche que rive droite, est parallèle au niveau de la mer. Il ne suit pas la déclivité du sol d’appuis.
  • lorsque la mer les découvre elles émergent simultanément.

De l’ancrage du Mur de La Vierge[15] sur les rives :

Le Mur de la Vierge n’est pas rattaché à la côte. On ne voit pas de traces d’ancrage de ce mur sur le rivage. Même si la rive a été profondément remaniée, on devrait cependant y voir le reliquat des culées de calage. Contrairement à ce qui fut observé[16], on ne voit pas d’accrochage.

Des murs de pêcherie sous le Mur du Petit Taureau[17].

En 1641, Jean du Fresne, sire de La Vallée, Keridrivin etc…, déclare : « une pêcherie autrement appelée gorret, située à l’embouchure de la rivière de Lannion du côté de Becléguer, cernée de murailles sèches et talus de pierre… toutes ces choses, pour les avoir acquises de dame Claude de Lesmaës, dame de Morizur, en l’an mil six cens dix neuff » (AD22 E 2056)

Il ressort d’un procès-verbal d’inspection d’un parc de pierre sous le corps de garde nommé Kerarderaine[18], effectué en septembre 1727, puis en juillet 1732, par François Le Masson[19],  que l’Inspection ne semble pas avoir relevé la taille exceptionnellement importante des matériaux employés. Quand à la hauteur estimée elle est évidement fonction du degré d’ensablement à l’instant de l’observation.

Visite de l’Inspection Maritime effectuée en septembre 1726

Nous sommes venus à Belleguer et de la pointe de Servel à l’embouchure de la rivière du Loquet ou de Lannion, à la bande de l’Est et, n’y ayant vu aucun pêcheur, nous sommes remontés le long de la rivière pour y visiter un parc de pierre, écluse ou goret situé sur le territoire de la paroisse de Servel que nous avons trouvé près et sous le corps de garde nommé « Kerarderaine », appartenant au Sr Adelain Kerdronio, qui le fait lui-même valoir. Cette pêcherie est formée en équerre irrégulière ayant un gord[20] ou ouverture dans l’angle, et les pierres n’ont au plus que deux à trois pieds de hauteur, en quoi les murailles sèches de cette pêcherie sont bien plus basses que l’Ordonnance ne l’a prescrit pour ces sortes de pêcheries.

Visite de juillet 1732

Il y a sur le territoire de Servel une écluse ou parc de pierre placée à la rive du nord de la rivière du Locquet, près le corps de garde de Servel nommé « La Kerarderaine », appartenant au Sr Adelain de Kerdronio qui l’a fait valoir, étant en bon état comme elle était lors de notre visite de 1726.

On retiendra que la muraille est bien plus basse que ce que ne l’avait prescrit l’Ordonnance et que la pêcherie de Kerdrivin est active, et en bon état. Mais on doit surtout remarquer qu’il existait un gord c’est-à-dire une ouverture dans l’angle de la pierre. Autrement dit la structure actuelle que nous avons sous les yeux ne correspond pas à la description de 1726-1732 !! Que s’est-il passé ?

Figure 6 : les quatre phases décelables sur la pêcherie de Petit Taureau à Servel (22) D’après Marie-Yvanne DAIRE et Loïc LANGOUËT[21]

Le mur, en équerre, de la pêcherie du Petit Taureau, ne présente pas de « gord », ou ouverture dans l’angle. Les lieux ont été modifiés postérieurement au rapport Le Masson de 1726. (On aperçoit en arrière-plan la pêcherie n°1).

La structure émergente que l’on voit actuellement n’a pas été faite dans l’intention d’une pêcherie. Cette fonction est secondaire. Les auteurs sont unanimes sur ce point. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu, antérieurement, de pêcherie. En effet il a été observé, au total, quatre phases de pêcherie dite du Petit Taureau à Servel. Une datation relative permet d’apprécier la différence de structure entre les trois premières phases et la dernière[22]. Il existe un ensemble complexe concernant l’assemblage de structures superposées bien individualisées.

De la largeur des chenaux d’évacuation du Mur de la Vierge.

Nous ne pensons pas que les trois chenaux d’évacuation aient servi de bief d’écoulement d’un ou de plusieurs moulins, car :

  • Il eut mieux valu tout d’abord ne concevoir qu’un seul chenal de sortie, cela lui aurait donné plus de force motrice.
  • La force motrice est d’autant plus effective que le bief est étroit. Ce n’est pas le cas.

Les ouvertures pratiquées, dont la largeur avoisine deux mètres, peuvent, éventuellement, laisser passer des embarcations.

Jean Pierre Pinot suivi par Louis Chauris évoquent, à une époque toute récente il est vrai, l’existence de petites barques appelées coucous sous lesquelles les pierres étaient accrochées par des chaînes. A marée haute l’ensemble était soulevé. Ce canot, très robuste, selon des témoignages recueillis, mesurait environ 8 mètres. Il était manœuvré par deux avirons et une godille. Il était équipé d’un puits central et d’un treuil.

Des faits incontestables.

L’église de Brélévenez est constituée de matériaux divers qui appartiennent à la phase, dite du polylithisme primaire, définie par Louis Chauris[23] et correspondant à l’étape majeure de la construction du bâtiment.

La partie orientale, chœur et abside, sont rapportées à la fin XIIème et au début du XIIIème siècle. Le matériau employé est le granite du Yaudet.

Par conséquent à cette époque l’extraction de ce matériau est active au Yaudet.

Avant d’exporter les blocs de granit issus de cette extraction, il existait, en toute logique et à coup sûr une ou des zones de stockage non loin de la zone d’extraction.

Les blocs de granite arrivaient aux pieds de la falaise de Brélévenez par voie fluviale car à cette époque les charges pondérales utilisaient les voies maritimes. Plus tardivement on utilisa le schiste de Brélévenez dont on voit les pêrières,[24] aux pieds de l’escalier.

Il est de toute logique que les anciens se servaient de la portance de l’eau pour déplacer les blocs.

Le granite du Yaudet fut utilisé :

  • dès la préhistoire[25] ainsi que l’atteste quelques menhirs encore conservés,
  • à l’époque gallo-romaine ainsi que l’atteste une borne miliaire autours de laquelle fut constitué l’enclos paroissial de l’église de Ploulec’h,
  • dès la fin du XIIème siècle dans l’église de Brélévenez,
  • dans la constitution de plusieurs calvaires,
  • à Coat-Trédrez et son château du XVIème siècle,
  • dans le couvent des Augustines du XVIIème siècle.
  • Dans les murs du quai de Lannion érigé au XVIIIème siècle tout au moins pour partie.

Autrement dit, le massif du Yaudet, qui affleure largement à l’embouchure du Léguer, a connu une belle activité de production de granite depuis plusieurs millénaires.

Comment peut-on ne pas tenir compte de ces éléments dans l’interprétation des murs de La Vierge et du Petit Taureau ?

Des travaux au XVIIIème siècle :

Mais il est bien délicat d’interpréter la finalité des ouvertures du Mur de La Vierge. Toutefois, nous pensons apporter ici une information ignorée à ce jour, à savoir que le « Mur de la Vierge » a été remanié à une époque tardive. En effet, le 23 septembre 1735, le Conseil d’Etat arrête et ordonne que soit sursis à la démolition de la pêcherie établie à l’embouchure de la rivière de Lannion.

Rappelons les faits recueillis dans la documentation :

En 1726 François Le Masson, récemment nommé Commissaire de la Marine et Inspecteur des pêches maritimes par le Secrétaire d’Etat de la Marine, le comte de Maurepas, visite à nouveau les côtes de la Bretagne septentrionale[26], par deux fois, en septembre 1726 et en juillet 1732, notamment la paroisse de Ploulec’h

Visite de septembre 1726

De Notre-Dame du Guéaudet, nous sommes descendu à la petite gorge étant à l’embouchure de la rivière de Lannion à la rive d’ouest où nous avons trouvé une écluse, goret ou parc de pierre, placée à l’ouverture de la baie et sous la chapelle de Notre-Dame du Guéaudet, nommée « le Goret à l’Evêque ». La dite pêcherie est en décadence et abandonnée, la propriété étant contestée entre le Seigneur évêque de Tréguier et le Sieur de Locmaria y ayant pour cela action intentée depuis un grand nombre d’année ».

Visite de juillet 1732

Nous avons trouvé encore au même état la pêcherie de pierre nommée « le Goret à l’Evêque » placée à l’ouverture de la baie et sous la chapelle de N. D. du Guéaudet. Elle était négligée et abandonnée en 1726 comme elle est encore à présent, à cause de la propriété contestée au Sgr Evêque Comte de Tréguier, par le Sr de Locmaria, et qui n’est point crédible.

Ainsi la pêcherie du Yaudet appartenant à l’évêché est totalement inactive. Il convient de rappeler que les Rois, déjà sous Henri III, avaient souhaité à plusieurs reprises une meilleure gestion des ressources halieutiques. Ainsi une ordonnance datée de 1681 précisait que : « Les parcs…à la réserve de ceux bâtis avant 1544, seront démolis ». Plusieurs ordonnances demanderont l’application de ce texte. — Il n’en fut rien dans la pratique car l’on put même constater que les pêcheries se sont multipliées et qu’elles durent être détruites au nom de la protection de la ressource. Remarquons que ce ne fut pas le cas de la pêcherie du Yaudet qui était donc inactive depuis long temps.

A la suite de ces constatations, fut ordonnée la destruction de la pêcherie du Yaudet. Il y eut même un début d’exécution mais, pour une raison méconnue, et à la suite de l’intervention de l’évêché, les Etats décidèrent de sursoir à cette démolition :

  • 23 septembre 1738. Arrêt du Conseil d’Etat qui ordonne qu’il sera sursis à la démolition de la pêcherie établie à l’embouchure de la rivière de Lannion, à la requête de l’évêque de Tréguier qui affirme « qu’il appartient au temporel de l’évêché, de temps immémorial un parc de pierres, écluse ou gorret, nommé le gorret à l’evesque, situé dans la paroisse de Ploulec’h, à la rive de l’Ouest de l’embouchure de la rivière de Lannion et placée à l’entrée de la baie sous la chapelle de Notre-Dame du Guiaudet… il a fait depuis peu pour plus de 800 livres de réparation audit parc…et seroit en état de produire pour sondit parc, des titres qui en prouvent l’existance depuis un temps considérable et pourroient en opérer la conservation … »

Un délai de trois mois est accordé à l’évêque pour produire ses terres devant l’intendant, faute de quoi il sera procédé à la démolition[27].

Mais l’Evêque ne l’entendit pas ainsi ; sa propriété n’étant plus contestée puisque le rapport de l’Inspection reconnaissait que la contestation du seigneur de Locmaria n’était plus crédible, arguant qu’il appartient au temporel de l’évêché, de temps immémorial, un parc de pierre, écluse ou goret, nommé Le Gorret de l’évêque. L’évêque venait de faire pour 800 livres de travaux. Le texte ajoute : (l’évêque) « serait en état de produire pour raison dudit parc, des titres qui en prouvent l’existence depuis un temps considérable et pourraient en opérer la conservation… ». Un délai de trois mois fut accordé à l’évêque pour produire ses titres devant l’intendant, faute de quoi il sera procéder à la démolition[28].

La démolition fut différée.

Plus, il y eut des remaniements conséquents vers 1735.

A la suite de cette information émanant des Archives Départementales du Finistère nous envisageons une recherche dans la série ecclésiastique G des Côtes-d’Armor.

Recherche ARSSAT, avril 2010[29].

– Prospection et recherche de documentation aux Archives Départementales des Côtes-d’Armor :

Il existe dans le fonds ecclésiastique des Archives des Côtes-d’Armor, série G, un mémoire daté de 1736 & 1738 intitulé : « Mémoire des instruments pour rétablir le Gauret[30] du Gueaudet ». Lequel confirme les renseignements que nous avions relevés aux Archives du Finistère[31]. Ce mémoire, trop bref comme toujours, fournit des renseignements majeurs concernant le mur de pêcherie[32] situé dans l’anse de la Vierge au Yaudet.

Les renseignements que l’on y trouve modifient profondément l’interprétation que l’on puisse faire de la finalité de cette structure intrigante. On y trouve mentionné le matériel suivant :

  • deux barres de fer, un testu[33], six coins, un crocq à palan avec un cercle de fer,
  • une chèvre,
  • une charrette avec deux essieux.

L’on commença à travailler au goret le 19e 9bre 1737[34] et jusqu’au 25e dudit mois, il y avait cinq journées qui font cinq livres douze sols six deniers, salaire artisan à raison de 22 sols six deniers par jour…

Puis du 25 au 2 décembre, etc… les travaux se poursuivirent jusqu’au 27 avril 1738. Ce qui fait une durée de cinq mois consécutifs, au total 231 journées rémunérées 259 Livres 17 sols 6 deniers, ce qui signifie qu’il y eut, peut-être occasionnellement, deux artisans sur le chantier.

En plus des artisans, sont cités, pour la même période, 686 journées de Manœuvres à 9 sols par journée. Les comptes font apparaître qu’il y eut entre deux et six manœuvres sur le chantier. Il semble donc qu’il y ait eu environ quatre à huit personnes ayant travaillé au Mur pendant l’hiver 1737-38.

Quelles sont les intentions exactes de l’évêque. Nous ne le savons pas, mais il est permis de s’interroger sur la nature d’un tel effort, d’une telle attention, portées à l’exécution d’un mur de pêcherie, alors que cela ne semble pas être justifié si on étudie les autres gorreteries existantes. Mais surtout lorsque l’on constate que depuis deux siècles la gorreterie n’est pas fonctionnelle.

Il y a, peut-être, dans l’esprit du donneur d’ordre, une arrière-pensée qu’il convient de connecter à d’autres intentions. En effet on relève à Lannion[35], à quelques kilomètres en amont sur la rivière du Léguer, qu’il est envisagé, à la même période, d’apporter des améliorations à l’installation portuaire.

L’évêque n’aurait-il pas l’intention de proposer les pierres de son mur et les possibilités d’extraction du site à fin de servir aux travaux portuaires de Lannion ?

C’est fort probable d’autant qu’il ressort d’un autre document, daté du 29 avril 1777, cette fois-ci, «  qu’il est interdit de transporter ailleurs les pierres du dit Goret. Qu’il convient de les conserver pour son usage »[36]. Ce qui revient à reconnaître qu’il y eut transport de pierres et qu’il convient maintenant de ne plus le faire. On sait en effet que le début des travaux portuaires furent solennellement inaugurés lors la venue du duc d’Aiguillon le 25 juillet 1764.

Poursuivons :

Les travaux (du Mur de La Vierge) sont surveillés par le chapelain du Yaudet qui rend des comptes à l’évêque :

95 Livres 10 sols pour l’achat des instruments tant de bois que de fer,

259 livres 17 sols 6 deniers pour les journées des artisans,

308 livres 14 sols pour les journées des Manœuvres.

Puis il y eut une deuxième phase de travaux :

«  L’on commença pour la seconde fois de rétablir Le Goret Du Gueaudet Le 14e juillet 1738 »

La rémunération quotidienne des manœuvres passe de 9 à 10 sols[37]. Les travaux durèrent du 14 juillet 1738 au 7 septembre 1738. La rémunération des artisans est de 20 sols, par jour. Il n’y eut cette fois-ci que deux manœuvres et un artisan sur le chantier.

De ce document, il ressort un certain nombre de constatations :

  • il devient acquis que le Mur de La Vierge a subi des travaux de rénovations en 1737 et 1738,
  • ces travaux sont relativement importants et ont occupés plusieurs manœuvres et artisans pendant plusieurs mois,
  • l’importance de ces travaux n’est pas proportionnée à la notion de pêcherie,
  • les trois ouvertures que l’on peut remarquer datent, fort probablement, de cette époque,
  • les traces d’ornières de charrette observées par l’ARSSAT, en 1972, trouvent ici leur explication,
  • l’état actuel du Mur du Petit Taureau ne correspond pas à la description qui en est faite en 1732. Cette pêcherie correspond en effet au type en « V » avec perthuis (sluice en anglais) dans la pointe où se rejoignent les deux bras linéaires dénommés « pannes ». Le dit perthuis est actuellement comblé ce qui indique clairement que la fonction de pêcherie est abandonnée,
  • on ne peut pas ne pas rapprocher ces travaux importants, de la demande faite à l’Intendance de Bretagne et formulée par les édiles lannionaises. Demande concernant les améliorations portuaires de Lannion. Les dits travaux ayant été acceptés le 24 janvier 1737,
  • le transport de pierres est confirmé par la documentation.

La mise en évidence de cette documentation, inexploitée à ce jour, permet de réfléchir à un certain nombre de propositions antérieures, notamment les plus récentes formulées en 2004[38] :

Les fouilles pratiquées de 1991 à 2002 par Patrick Galliou et Barry Cunliffe ont permis de montrer « l’absence de toute solution de continuité » alors que presque tous les sites ruraux et urbains de l’ouest de l’Armorique ont été presque totalement désertés dans le début du Ve siècle entre le bas-Empire romain et le haut Moyen-âge [39] …/… que Le Yaudet fut occupé par une communauté socialement relativement élevée à qui l’on doit, vraisemblablement, attribuer la construction dans la baie de la Vierge[40] . Cette structure est mentionnée pour la première fois dans la Vie latine de saint Efflam que La Borderie date du XIIème siècle. Il y est fait mention : «  d’un enclos de pierres quadrangulaires qui avait été bâti dans la mer[41] » manifestement antérieur à la rédaction de la vie de saint Efflam.

Si le texte de la Vita de l’édition d’Arthur de La Borderie mérite un nouvel examen[42], nous sommes en mesure d’affirmer maintenant que le mur cyclopéen a subi, au cours des temps, des modifications qui ne permettent plus d’accorder le style de son architecture avec ce que nous savons de l’occupation du Yaudet au haut Moyen-âge[43].

Les auteurs modernes admettent que le mur ait eu une double fonction, à savoir celle d’une pêcherie éventuelle combinée à celle de fondations à un ou plusieurs moulins à marée[44]

Nous pensons que les travaux effectués par l’évêque ne permettent plus d’envisager une telle finalité.

L’évêque a-t-il fournis ses titres ? Rien n’est moins sûr, était-ce réellement nécessaire quand on est évêque ? C’est bien dommage[45], mais l’Inspection Maritime reconnut, implicitement, sa propriété

Nous ne pensons pas que les investissements de l’évêché aient eu pour but celui de bâtir, ou de réaménager, une pêcherie. Nous pensons qu’il y a lieu de rapprocher ces travaux de 1735 du fait qu’en 1737, un aménagement du port de Lannion est envisagé. Dès cet instant la zone d’extraction du Yaudet revêt un caractère économique majeur. Un devis de cet aménagement portuaire est établi[46]. Dans ce devis il est d’ailleurs fait mention des barques qui seront tenues de décharger leur lest dans l’endroit le plus proche de l’ouvrage soulignant, si cela était nécessaire de le faire, l’utilisation de la voie fluviomaritime. Ces barques ne seraient-elles pas les ancêtres des « coucous » ?

Il faudra attendre quelques années avant que l’exécution des travaux lannionais soit effective. Mais l’on sait, grâce à documentation, qu’il y eut bien transport de pierres.

Recherche :

Remarquons :

Nous devons tenir compte du fait qu’en 1726-1732 la pêcherie du Petit Taureau est en bon état d’exploitation alors que celle du Yaudet est abandonnée.

En second lieu il convient de retenir que le texte de 1726 mentionne l’existence d’une ouverture dans la pêcherie de Petit Taureau alors que l’observation actuelle du site ne l’observe plus.

Dès l’instant où nous constatons qu’il y a eu modifications des lieux il y a lieu d’écarter toutes les propositions antérieures.

Nous proposons comme hypothèse de travail que la confection colossale des murs de la Vierge et du Petit Taureau corresponde à cette période de plusieurs années (1737-1762)

Nous émettons comme autre hypothèse de travail de considérer que les dits murs de La Vierge et du Petit Taureau, aujourd’hui ruiniformes, objets de notre enquête, correspondaient à deux zones de stockage du matériau granitique, avant exportation dans l’arrière-pays par la voie fluviale ou maritime.

La première phase de construction de l’église de Brélevenez date de la fin du XIème siècle. Cette phase correspond à celle qui utilisa le granite du Yaudet. Or dans la rédaction de la Vie de Saint Efflam qui date du XIIème[47], on trouve l’expression lapides quadrilateri évoquant la taille de pierres dont la finalité n’est pas celle d’une pêcherie.

Il est fort probable que l’escalier de Brélévenez date de la phase primitive de construction de l’église servant non seulement à surveiller le système de levage des matériaux mais aussi servant de voie de passage vers la côte nord. Servitude que matérialise un tronc de péage.

Ce qui conforte l’idée que Le Yaudet fut bien à l’origine de la ville de Lannion qui n’apparaît dans l’Histoire écrite qu’en 1163.

Au titre de ville d’art et d’histoire, il serait plus judicieux d’utiliser le granite du Yaudet à la place du béton pour la réfection des quais lorsque ces derniers s’effondrent.

Bibliographie sommaire :

CHAURIS Louis, « Le transport par mer des granites de l’Île Grande », dans SEmCA, t.CXX, 1922, p. 75-91

CHAURIS Louis, « Sur l’emploi ancien du granite du Yaudet en Bretagne », dans Bulletin du musée de la Pierre, Maffle, 2004, p.73 et suiv.

GALLIOU (P.), CUNLIFFE (B.), « La Yaudet-en-Poulec’h (Côtes-d’Armor) au haut

Moyen Âge », dans Corona Monastica, Mélanges offerts au père Marc Simon, dans

Britannia Monastica 8, PP. 297-310, Université de Rennes 2004.

PINOT Jean-Pierre, « Les transformations de l’Île Agathon », dans Iles du Trégor, n°2, 1987, p.36.

PINOT (J.-P.), « Histoire d’un estuaire : la rivière de Lannion », dans Charpiana,

Mélanges offert par ses amis à J. Charpy, Brest : Fédération des sociétés savantes, 1991,

pp.297-310.

  1. Voir BOURGES A.-Y., « L’évêché de Lexobie… », Voir TANGUY B., « Les pagi bretons médiévaux », p.381

  2. GUILLOTEL H., Les actes des ducs de Bretagne (944-1148), thèse pour le doctorat en droit, Paris II, 1973, t.IV, p.166.

  3. GUILLOTEL (H.), « Le dossier hagiographique de l’érection du siège de Tréguier », dans Mélanges offerts à la mémoire de Léon Fleuriot, PUR, 1992, p.222.

  4. GUILLOTEL H., Ibid., p.231 et suiv.

  5. On pourrait ajouter la liste des soixante huit évêques fondateurs de Tréguier prédécesseurs de saint Tudual,

  6. Expressions empruntées, partiellement, à André-Yves Bourges.

  7. BOURGES A. Y., Hagio-historiographie, en ligne, 28 décembre 2008.

  8. LE CLEC’H Abbé Louis, Le Yaudet place forte armoricaine et antique centre religieux, éditions Montsouris, 1956, 126 pages.

  9. Journal Le Trégor, 1974.

  10. PINOT (J.-P.), « Histoire d’un estuaire : la rivière de Lannion », dans Charpiana, Mélanges offert par ses amis à J. Charpy, Brest : Fédération des sociétés savantes, 1991, p. 299.

  11. GUIGON (Ph.), « Les églises du haut Moyen Âge en Bretagne », T.1, CERAA, 1998, p.134.

  12. LANGOUËT (L.), « Principaux sites portuaires de l’Armorique gallo-romaine », dans Les Dossiers du Ce.R.A.A., 30, 2002, p.87-111.

  13. CUNLIFFE B., GALLIOU P., Les fouilles du Yaudet en Ploulec’h, Côtes-d’Armor, Oxford et CRBC Brest, 2004, vol.1, p.166

  14. Inid.

  15. En 1513 il est fait mention de la pesherie de monsieur de Tréguier es metes (aux limites) de la vieille cité dans l’acte de mariage, daté du 5 février, de Catherine de Kermellec de Nicolas de Meur (Coll. Keryvon, « Répertoire de Kerazren », f° 223r°).

  16. CUNLIFFE B., GALLIOU P., ibid., p.165. « …Il traverse la Baie de la Vierge en s’accrochant, d’un côté à l’une des avancées rocheuses du Yaudet et de l’autre à la rive méridionale de l’anse… ».

  17. Pour Keridrivin Voir AD44 B 1652.

  18. Kerdrain, 3,9 NE.

  19. LEVASSEUR O., « Les pêcheries sur les côtes septentrionales de Bretagne, d’après les procès-verbaux d’inspection de François Le Masson du Parc », dans Les dossiers du Ce.R.A.A., AE, 2008, p.11-38.

  20. Le breton kored a donné par mutation gored, le français gord, puis gort au Moyen Âge (GIOT P.-R. et GUIGON Ph., « La civilisation matérielle des anciens bretons armoricains », dans Les premiers Bretons d’Armorique, PUR, 2003, p.162).

  21. DAIRE M., LANGOUËT L., « Sur la chronologie des pêcheries fixes, Le point de vue de l’archéologie », dans Les Dossiers du Ce.R.A.A., AE, 2008, p.57. — Voir aussi : LANGOUËT L. « Les principales pêcheries d’estran du littoral trégorrois », dans Les Dossiers du Ce.R.A.A., 37, 2009, p.94.

  22. Ibid.

  23. CHAURIS L., « La pierre dans les constructions à Lannion », dans MSHAB, t.LXXXVI, 2008, p.7.

  24. Dans un acte en date du 8 fructidor an 8, nous trouvons mention de la pêrière de parc Bras penastang sur le chemin de Lannion à Crechdanet.

  25. CHAURIS L., « Sur l’emploi ancien du granite du Yaudet en Bretagne. Suggestions pour les travaux de restauration », dans Bulletin du Musée de la Pierre de Maffle, Belgique, 2004, n°19, p.73-97.

  26. LEVASSEUR (Olivier), «  Les pêcheries septentrionales de Bretagne d’après les procès-verbaux d’inspection de François Le Masson du Parc », dans Les pêcheries de Bretagne, Archéologie et Histoire des pêcheries d’estran, sous la direction de Marie-Yvonne DAIRE et Loïc LANGOUET, Coédition CE.R.A.A.-A.M.A.R.A.I, pp. 11-34. ,

  27. Archives Départementales du Finistère, B 4170

  28. Ibid.

  29. Recherche effectuée en avril 2010 par Claude Berger que nous remercions.

  30. Ailleurs dans ce même texte on pourra lire Goret.

  31. . Ibid. n.24.

  32. Qui n’en est pas un, rappelons-le.

  33. Terme de construction. Sorte de marteau carré, avec lequel on abat la pierre près des arêtes (Larousse)

  34. 19 novembre 1737.

  35. La construction d’un quai est envisagé à Lannion.

  36. Documentation découverte en août 2010 par Claude Berger, Président d’honneur de l’ARSSAT, aux AD22

    2 G 175, que nous remercions à nouveau.

  37. 1 livre = 20 sous = 240 deniers

  38. GALLIOU (P.), CUNLIFFE (B.), « La Yaudet-en-Poulec’h (Côtes-d’Armor) au haut Moyen Âge », dans Corona Monastica, Mélanges offerts au père Marc Simon, Britannia Monastica 8, pp. 297-310, Université de Rennes 2004.

  39. Ibid. p.299.

  40. Ibid. p.302

  41. Ibid. p.302, n.23. Traduction donnée par les auteurs.

  42. BOUGRES A.-Y., « Une strate trégorroise du mythe arthurien : la vita de saint-Efflam », Hagio-historiographie médiévale, en ligne.

  43. Expression employée p. 302, GALLIOU et CUNLIFFE op. cit.

  44. Ibid. p.302

  45. Une recherche aux AD22 dans la série G pourrait être utile.

  46. Voir LE PERSON A., Lannion un port sur le Léguer, 2004, p.94, d’après AM Lannion 036/26.

  47. GIOT & GUIGON, op. cit., p.181.