Les anciens haras de Lannion

Les anciens haras de Lannion

Par Liliane Le Gac

Au n°2 de la rue des Haras, derrière de grands murs, après avoir franchi le portail, l’on découvre une belle cour pavée et sur la droite, une longue bâtisse en pierres et briques abritant encore au rez-de-chaussée, douze boxes, à l’étage les anciens greniers à foin et le logement de fonction pour les lads.

Parcelle AK191

L’histoire de cette « station de monte » débute en 1905. Elle connut durant la première moitié du XXe siècle une intense activité. Des cultivateurs de la région venaient faire saillir leurs juments. Des étalons de choix, sélectionnés par des professionnels de Lamballe et logés dans les stalles du rez-de-chaussée, les y attendaient. Mais avec la mécanisation de l’agriculture à partir des années 1950 et l’insémination artificielle, son activité a progressivement diminuée jusqu’à sa fermeture définitive en 1996.

Les Haras de Lannion occupent la parcelle actuellement cadastrée n°191 section AK, précédemment parcelle n°159 de la section A, acquise par la Commune en vue de construire la station de monte.

Avis de la Préfecture en 1905

En 1966, au moment de la rénovation cadastrale, la parcelle n°AK 191 avait été imputée par erreur à l’Etat.

C’est ainsi que le 13.03.2002, un acte de transfert de biens était signé entre l’Etat, se réclamant de la propriété de l’immeuble aux termes de la loi du 29.05.1874, et les « Haras Nationaux » dont le siège est à ARNAC-POMPADOUR en Corrèze, acte publié à la Conservation des Hypothèques de Lannion le 17.05.2002 (Volume 2002 P n°2089).

En 2004, un notaire de Lannion recevait une demande de mise en vente de la Station de Monte émanant des Haras Nationaux de Pompadour.

La Ville de Lannion qui se considérait propriétaire des lieux pour les avoir construits et occupés durant des décennies, devait néanmoins justifier d’un titre de propriété…

Il faudra à la Commune une année de recherches menées aux Hypothèques, dans les archives départementales et notariales pour que sa légitimité soit enfin reconnue.

Remontons la chronologie des faits :

Lors de la séance du Conseil Municipal du 10 août 1905, le Dr AUREGAN, conseiller municipal « demandait à l’Administration municipale de s’occuper activement de la construction du nouvel établissement des haras, de façon à ne pas se trouver l’année prochaine acculé à la même nécessité ». Le Maire, M. Joseph MORAND, répondait que « l’Administration municipale fera tout ce qui dépendra d’elle pour que les travaux soient terminés l’année prochaine en temps utile et comme preuve de sa ferme intention d’aboutir, il demande au conseil municipal de voter dès aujourd’hui l’acquisition du terrain sur lequel devra s’élever la station de monte, terrain qui appartient à M. Emile DERRIEN, au prix très avantageux pour la Ville de Lannion de 1 F le mètre carré, la surface à acquérir serait d’environ 14 ares ».

La proposition du Maire est adoptée à l’unanimité et la délibération est transmise au Préfet pour approbation.

Budget de Lannion en 1909-1910

Par arrêté Préfectoral du 13 octobre 1905, « le Maire de Lannion est autorisé à acquérir de M. DERRIEN au prix d’un franc le mètre carré le terrain d’une superficie 15a 12ca 80, cadastré section A n°159 du plan cadastral, pour la construction d’un nouvel établissement de haras ».

Le rapport de la Commission des Finances de la Commune du 9 novembre 1905 indique que les plans et devis ont été examinés et acceptés par elle et le Directeur du dépôt de LAMBALLE. La totalité des dépenses s’élèverait à la somme de 29.700 F se décomposant ainsi :

  • Ecuries et logements 19 517,37
  • Hangar de monte 862,36
  • Cabinets d’aisances 267,10
  • Bureau du brigadier . 291,39
  • Murs de clôture 2 195,25
  • Conduite d’eau 659,89
  • Pavage des box 1 152,00
  • Caniveau pour l’eau des gouttières 284,80
  • Empierrement des cours et sablages 806,00
  • Anneaux pour attacher les juments 44,00
  • Somme à valoir pour imprévus 257,84
  • Honoraires de l’architecte 1 344,00
  • Terrain et frais d’acquisition 1 518,00

« Pour faire face à cette dépense, la Commune se trouve dans l’obligation de contracter un emprunt mais le prix d’acquisition du terrain pourrait être prélevé sur le produit de la vente de 4 450 F du terrain communal de la rue Jeanne d’Arc et la dépense pour la conduite d’eau à l’aide d’une partie du reliquat disponible de l’emprunt des eaux ».

Les charges de la Commune se trouveront en partie compensées par des recettes annuelles régulières du Conseil Général, soit une subvention annuelle de 720 F pour les chevaux des 12 box. Des communes rurales se sont aussi engagées à verser des subventions pendant 18 ans.

En conclusion, le président de la commission qualifie cette opération de « placement de père de famille, sachant que le maintien de la station de monte dans notre ville est subordonné à la construction d’un nouvel établissement ».

Le 9 novembre 1905, le conseil municipal autorisait le Maire à emprunter la somme de 25 000 Francs auprès du Crédit Foncier de France, amortissable en 30 ans, pour financer la construction de la station de monte.

Par arrêté du 28 novembre 1905, le Préfet autorisait la Commune à souscrire cet emprunt.

Le 11 janvier 1906, une promesse unilatérale de vente du terrain situé au Forlac’h, parcelle section A, n°159, était signée entre M. Emile DERRIEN et M. Joseph MORAND, Maire de Lannion, au prix de 1512 F. Cette promesse de vente est publiée au Bureau des Hypothèques le 16 janvier 1906.

Par procès-verbal approuvé le 15 janvier 1906 et transmis à M. le Préfet, M. Robert HUET, entrepreneur à Lannion est déclaré adjudicataire des travaux de construction de la station de monte. L’empierrement des cours et le sablage à réaliser par les ouvriers de la Ville, sont inscrits au budget de la Commune pour un montant de 806 F.

Les haras en 2010

Cependant, avant la signature de l’acte de vente définitif du terrain, le propriétaire M. Emile DERRIEN, ancien notaire à Lannion, décède le 11 février 1907 à LEHON (près de DINAN).

Il était alors comme interdit judiciaire, sous la tutelle de M. Arthur ENAUD, avoué-licencié demeurant à Loudéac.

M. Emile DERRIEN, laissant pour unique héritière sa sœur Mme Elisa DERRIEN épouse de M. ENAUD, laquelle a renoncé à la succession par déclaration faite au Greffe du Tribunal de Loudéac le 6 juillet 1907.

La succession est alors déclarée vacante à la requête de M. le Procureur de la République, par jugement du Tribunal Civil de Loudéac en date du 14 août 1907 qui nomme M. Joseph MORAND, avocat à Lannion, curateur de la succession vacante de M. Emile DERRIEN.

L’inventaire de la succession est dressé à la requête du curateur le 9 octobre 1907 par le ministère de Maître LEOST, notaire à Lannion.

Cour pavée

L’actif successoral ayant été réalisé, le compte définitif établi par M. Joseph MORAND, avocat à Lannion a été déposé aux minutes de Maître LEOST, notaire à Lannion, le 5 mars 1910 et enregistré à Lannion le 11 mars 1910 sous le n° 49 Ce 6.

A la page 18 de cet acte il est mentionné : « Reçu du Receveur municipal de Lannion, 1 512,80 Francs, prix du terrain de la Station de Monte (15a 12ca n°158p et n°159p section A) vendu à la Ville de Lannion par M. DERRIEN, suivant acte S.S. privé des 9 septembre 1905 et 11 janvier 1906 enregistré à Lannion le 13 janvier 1906, frais pour 106,40 F ».

Au budget de la Ville de Lannion du 1er trimestre 1910, au chapitre dépenses-report il est indiqué, au n°144-18 : « achat de terrain pour construire une station de monte : 1 512,80 F et au n°145-19 : frais d’acte, de purge, du terrain de la station de monte : 131,73 F ».

Après que la Ville de Lannion ait pu justifier des documents précités, l’Etat et les Haras Nationaux publiaient le 30 novembre 2007, un acte rectificatif de transfert de propriété établissant de manière non équivoque : « que la Commune de Lannion est propriétaire de l’immeuble des Haras acquis par elle dès l’année 1905 et qu’elle a continué à se comporter en propriétaire depuis lors ». Cet acte est enregistré le 21/12/2007 à la Conservation des Hypothèques de Lannion (Volume 2007 P n°5776).

Prochainement, la Ville de Lannion va transformer ce lieu chargé d’histoire situé au cœur de la ville, en une « Cité des artistes » ouverte au public.

A noter que depuis quelques années, L’ARSSAT occupait un des box pour stocker son matériel.

Liliane LEGAC

Texte publié avec l’accord de la Mairie de LANNION.

Sources :

  • Archives Etude notariale SCP COURBET-ROIGNANT (Lannion)
  • Conservation des Hypothèques de Lannion
  • Archives Départementales des Côtes d’Armor
  • Archives Municipales de Lannion

Texte de E. Derrien en 1910