Voies romaines et marine militaire romaine en Trégor.

Conférence de Plestin-les-Grèves en Août 2014 par Claude Berger

1-Les voies romaines en général.

Le réseau complexe des routes réalisées par les Romains constitue à coup sûr le témoignage le plus important et le plus durable de leur civilisation.

La construction des voies de communication est allée de pair avec l’expansion de Rome dans le territoire italique et dans les provinces de l’Empire ; selon les cas, les travaux routiers répondaient à des exigences de nature militaire, politique ou économique, qui avaient comme dénominateur commun la nécessité de faire communiquer des réalités géographiques et économiques toujours plus distantes.

Même si elles reprenaient souvent des voies locales déjà utilisées, les routes romaines ont toujours été conçues comme faisant partie d’un système global de communication ; le développement de celui-là, lié aux grandes voies d’eau (mers, lacs et fleuves), a permis la survie d’un Empire qui s’étendait sur trois continents, sur des milliers de kilomètres.

Les premières routes tracées autour de Rome menaient aux villes étrusques les plus proches ainsi qu’aux localités du Latium, dont elles prenaient souvent le nom. Elles étaient construites en terre battue et suivaient le relief.

La voie Appienne (du nom de son initiateur) marqua un tournant dans la politique romaine des travaux publics. Elle fut commencée en 312 avant J-C, par le censeur Appius Claudius Caecus afin de relier Rome à Capoue. La voie fut tracée au plus court : des lignes droites sur plusieurs kilomètres. Les ingénieurs romains n’hésitèrent jamais à concevoir ponts, viaducs, percées et galeries chaque fois que cela permettait de raccourcir le tracé d’une voie. Ils étaient formés pour cela.

Les routes se caractérisaient par la régularité de leur pente et l’homogénéité de la chaussée, qui facilitait la progression des chars ou des hommes. Lorsque le sous-sol était stable, par exemple rocheux, la route était réalisée en superposant des couches de matériaux pour le revêtement externe et l’empierrement de base, c’est-à-dire le noyau intermédiaire élastique capable d’absorber les charges et les éventuels tassements. Dans le cas de terrains friables ou marécageux, la voie reposait sur une structure en bois.

L’empierrement (statutem), d’une épaisseur de 30 à 60 cm, était parfois complété par une coulée (rudus) de pierres plus petites gâchées avec de la chaux et de la pouzzolane.

Le noyau (nucleus) était constitué de sable et de pierraille, de graviers ou de fragments de terre cuite, la couche supérieure était nivelée avec de gros rouleaux.

Le revêtement (dorsum summum ou pavimentum) était fait de plaques en pierre ou de gravier.

Vue en coupe, la route formait un dos-d’âne (sauf en région vallonnée, où la pente de la voie suffisait), pour assurer l’écoulement des eaux de pluie.

Il s’agit du chemin de Létra en Quévert. La coupe est faite entre les parcelles D123 et D126 au Placis de Tréfault. 1 est du cailloutis, 2 : pierres et argile, 3 : sable, 4 : arène granitique.


La hiérarchie des voies romaines est précise comme l’indique le texte de l’arpenteur romain Siculus Flacus : trois types distincts relevant chacun d’une fonction particulière et d’une autorité différente.

Les viae publicae, les plus importantes, sont financées par l’Etat et surveillées par les curatores viarum, alors que les viae militares, à vocation stratégique, sont aménagées et surveillées par l’armée. Leur largeur est comprise entre 6 et 12 m.

Les voies vicinales (de vicus, bourgade), d’intérêt secondaire, larges de 4 m entre caniveaux, sont laissées au soin des cités et dépendent des magistrats locaux.

Quant aux viae privatae, qui traversent les grands domaines privés, elles sont à la charge des propriétaires. Le plus souvent la chaussée pavée ne dépasse pas les 3,5 m.

A son apogée, à la fin du 3ème siècle après J-C, le réseau routier principal atteindra 150 000 km.

Pour le confort des équipages et des voyageurs, l’administration romaine du « cursus publicus » installera des stations routières le long des voies, les « mutationes » où l’on change les chevaux, les « mansiones » où l’on change cochers et chevaux. La distance entre ces arrêts dépasse rarement les 15 km, les chevaux pouvant en cas d’urgence galoper tout au long du parcours.

Au fil des temps toute une série d’établissements et de commerce privés liés à la circulation importante des marchandises et des personnes vinrent s’agglomérer à ces haltes.

2. Méthode de construction d’une voie vicinale.

Dans un premier temps il faut que les arpenteurs interviennent et jalonnent le futur parcours de la voie. Ensuite déboisement éventuel, travaux hydrauliques pour l’écoulement contrôlé des eaux.

Commence alors le chantier proprement dit.

En général pour un tronçon de voie deux équipes de 100 hommes vont se mettre au travail à partir des deux extrémités. Terrassiers qui creusent le sol sur 75 cm de profondeur, ouvriers qui trient les pierres, pierrailles, sables qui constitueront les couches de la voie. Rouleurs pour l’achèvement du noyau. Enrobeurs qui font les mélanges avec la chaux pour le dorsum summum ou le pavimentum.

L’emprise du chemin sur l’environnement étant d’une largeur d’environ 4,6 m, caniveaux compris, il y a 3,45 m3 à déblayer et conditionner par mètre linéaire de chaussée, ce qui mobilise 4 hommes-jour. Chaque chantier peut donc avancer à la vitesse de 25 m par jour.

Un tronçon de 15 km est donc réalisable en 300 jours ouvrés. Il faut y ajouter la construction de la halte, ce qui nous mène en gros à un an de travail par tronçon, avec 200 travailleurs.

3-Spécificité des voies romaines gauloises.

Bien que le développement global des voies romaines en Gaule ait débuté sous le règne de Jules César, c’est sous le principat d’Auguste qu’il va prendre son essor. Le pays lentement pacifié sera alors progressivement couvert d’un réseau, en romanisant d’abord ces voies anciennes, ensuite en créant des voies nouvelles qui allaient répondre à leur besoin nouveau d’expansion. Les travaux des grands axes de la Gaule furent ainsi confiés par Auguste, après son voyage en Narbonnaise en -27 à son gendre et conseiller privilégié Marcus Vipsanius Agrippa. Remarquable et talentueux administrateur, il choisit, pour des raisons d’ordre géographique, la ville de Lugdunum / Lyon comme origine de ces voies. L’aménagement de quatre grands axes fut achevé avant la fin du Ier siècle av. J.-C.

Le géographe Strabon, dans sa Géographie les décrit ainsi : « Lyon se trouve au milieu de la Gaule comme l’Acropole au milieu d’une ville… c’est pourquoi Agrippa en fit le point de départ des grandes routes qu’il ouvrit. Au nombre de quatre, l’une va chez les Santons et en Aquitaine, la seconde se dirige vers le Rhin par Trèves, la troisième vers la Mer du Nord, la quatrième gagne la Narbonnaise et le rivage de Marseille ».

Durant l’Ier siècle furent renforcés les axes menant à la Germanie. Les autres grands axes et voies secondaires furent achevés d’être mis en place à l’époque d’Antonin le Pieux (138-161). L’extension et l’amélioration des routes se feront ainsi jusqu’au milieu du IIIe siècle, lors des premières incursions des Francs et des Alamans, préfiguration des grandes invasions des Ve et VIe siècles.

Il découle de tout cela qu’entre la voie qui va chez les Santons et celle qui rejoint la mer du Nord, le territoire nord-ouest de la Gaule ne supporte aucune « viae publicae », à plus forte raison la péninsule armoricaine.

4. Spécificité des voies romaines armoricaines.

Notre région ne devient concernée par les voies romaines que lorsque l’empereur Claude 1er (41-54) décide de se réimplanter en Grande Bretagne. En effet cette dernière avait été conquise par César puis délaissée.

Il lui faut garder le contact avec la flotte de guerre romaine du Ponant qui navigue dans la Manche et autour des îles de Bretagne et d’Irlande.

A partir des années 60 et 50 avant notre ère, des petites troupes romaines étaient établies sur la rive gauche de la Loire entre Ratatium (aujourd’hui Rézé) et l’embouchure du fleuve, surveillant la fabrication par les Pictons d’une quarantaine de galères qui iraient équiper la « Classis Britannica », chargée de surveiller le pourtour de la Grande Bretagne.

Ensuite, à l’aide de ponts de bateaux s’appuyant sur les îles Beaulieu et Madeleine, la ville de Nantes-Condevicnum va se créer à l’embouchure de l’Erdre, côté rive gauche, à partir du début de notre ère.

Cité des Namnètes, carte de L. Pirault, réalisée en 2006 pour l’exposition Traces humaines à Nantes.

De cet endroit partirent, lorsque la ville fut construite, les voies du « Cursus Publicus », c’est-à-dire la poste aux chevaux romaine, vers les ports de la Manche, puisque les ports d’atterrage des navires de guerre devront se trouver en liaison rapide avec le haut commandement.

Celle du nord-ouest rejoint Vannes-Darioritum, Quimper–Aquilonia, puis Audierne-Gesocribate ou l’Aber Wrac’h.

Celle du nord : Corseul –Fanum Martis et le port de Jouvente sur la rive gauche de la Rance.

Celle du nord-nord-ouest se dirige vers la rade du Yaudet ou celle de Plougrescant.

Il s’agit de l’établissement de lignes directes entre les principales zones portuaires naturelles d’Armorique et Nantes.

La romanisation de l’Armorique s’effectue à partir de Nantes.

Dans un second temps seront établis des relais administratifs régionaux romains, à savoir : Carhaix-Vorgium, et Corseul-Fanum Martis, cités dont la construction débute vers l’an 10 et qui ne deviennent opérationnelles que vers les années soixante de notre ère.

Des voies vicinales destinées au passage des chars de la poste romaine lancés au galop, vont se mettre en place par-dessus le cadastre existant. Elles devront rester praticables toute l’année, seront hors d’eaux pluviales, hors d’eau d’inondations, donc éloignées le plus possible des zones humides, des sources, des cours d’eau. Les passages obligés de traversées des rivières importantes seront spécialement étudiés pour être franchis rapidement en tous temps : gués empierrés entre deux pentes d’accès.

Les chars romains TGV sont à deux roues, tirés par un timon auquel sont attelés deux chevaux. Ils s’arrêtent tous les quinze kilomètres dans les mutationes où les chevaux sont changés et tous les 45 km dans les mansiones où les cochers sont remplacés.

Une des plus anciennes voies de notre région, datée par la borne de Kernilis près de Lesneven, serait de l’année 45 ou 46. Elle relierait l’entrée de l’Aber Vrac’h à Nantes.

Les autres ports de relâche : Locquénolé, Trégastel-Primel, Locquirec-Plestin, la rade du Yaudet, Perros-Guirec, Port-Blanc, Plougrescant seront aussi les origines d’autres voies stratégiques, vicinales, de largeur voisine de 4 m.

Le réseau en étoile autour de Carhaix est prioritaire pour la région.

Les liaisons entre Carhaix, Vannes, Nantes, Tours, Lyon, le sont aussi.

Par contre les liaisons à grande vitesse entre métropoles locales : Carhaix, Corseul, Rennes, ne seront assurées que plus tardivement, sous Septime Sévère (193-211) pour Carhaix-Rennes, sous Victorinus (260-262) pour Carhaix-Corseul.

5-La marine militaire romaine et ses ports d’escale en Trégor.

Auguste (-27, +12) crée une marine forte de huit escadres et de trois flottilles.

  1. Deux escadres (Misène et Ravenne) protègent l’Italie ; ce sont les escadres dites prétoriennes
  2. Les autres escadres sont basées en Syrie, en Égypte, en mer Noire, en Manche, en mer du Nord, en Gaule (Fréjus) et en Libye.
  3. Trois flottilles fluviales (sur le Rhin, en Pannonie et Mésie, c’est-à-dire sur le Danube)

Composition

  • Les avisos (petits navires de guerre chargés de porter des renseignements, des paquets, des ordres, ou des avis, qui peuvent aussi servir au combat ).
  • Les transports de troupes :
    • Navis Oneraria : navire à voile uniquement servant de transport de troupe et à l’approvisionnement.
    • Navis lusoria : mystificateur ou espion.

Reconstruction d’une Navis lusoria dans le musée de la navigation antique à Mayence.

      • Navis actuaria (successeur des précédents) : bâtiment découvert, marchant avec des avirons aussi bien qu’à la voile, et qu’on ne destinait pas à mettre en ligne le jour du combat, mais que l’on employait dans une flotte pour tout ce qui devait être fait promptement, pour croiser, pour exécuter une reconnaissance, pour porter un message, pour transporter des hommes. Il n’était jamais garni de moins de dix-huit avirons.
  • Les navires de guerre romains.
    • la (le mot navis est féminin en latin) Navis longa est un long vaisseau à quille aiguë avec un très long espace entre la poupe et la proue. Il était mis en mouvement par un seul rang de rameurs (moneres), et formait une classe intermédiaire entre la navis actuaria et les bâtiments qui avaient plus d’un rang de rames (Ordo), la birème, la trirème, quinquérème, quadrirème, hexarème, appelés aussi galères. Ces navires avaient jusqu’à cinquante rames.
    • On emploie aussi ce mot comme nom générique pour désigner tout bâtiment de guerre, quel que soit le nombre de rangs de rame.
    • Tous étaient construits sur le même plan, en comparaison des coques courtes et ramassées, des quilles arrondies, qui avaient été adoptées pour la marine marchande et quelques bâtiments de corsaires.
    • On appelait Navis turrita les navires possédant une tour « centrale » de protection.
    • Les navires pouvaient être pontés complètement (navis tecta ou contrata), ou à moitié pontés (Navis aperta), ou non pontés du tout.
    • Ils portaient tous un éperon destiné à couler les navires adverses.

Modèle de birème romaine à cinquante rames.

    • les liburnes : des bâtiments légers.

Tous ces types de bâtiments pouvaient échouer sur des espaces non rocheux : grèves et plages bien dégagées des

rochers.

Les côtes de la péninsule armoricaine sont en général de ce type, au débouché des estuaires des fleuves.

La « Classis Britannica », l’escadre de la Manche, utilisait pour ses escales les atterrages les plus abrités des vents dominants. La rade du Yaudet répondait au mieux à ces critères.

Les autres ports de relâche : Locquénolé, Trégastel-Primel, Locquirec-Plestin, Perros-Guirec, Port-Blanc, Plougrescant sont aussi les points de départ des voies romaines vers l’intérieur des terres.

Les opérations de transbordement entre navires marins et bateaux fluviaux s’opéraient dans ces endroits, sous contrôle de petits fortins.


6. Quelques voies romaines du Trégor.

1-Voies vers Nantes ou de première espèce : stratégiques.

*Voie Plougrescant-Nantes

*Voie Le Yaudet-Nantes.

2 – Voies de deuxième espèce, de la côte vers Carhaix ; régionales.

*Voie Plougrescant – Carhaix

*Voie Port-Blanc – Langoat

*Voie Perros – Louargat

Voie Le Yaudet – Carhaix

Voie Locquirec – Toul an Hery – Carhaix

Voie Plougasnou – Lanmeur – Carhaix

Voie Locquénolé – Morlaix – Carhaix

3 – Voies intermédiaires de troisième espèce : locales.

Voie Perros – Le Yaudet

Voie Le Yaudet – Locquirec

Voie Locquirec – Lanmeur

Voie Lanmeur – Morlaix

*Voie Langoat – Rospez

*Voie Le Yaudet – Corseul