UN DOMAINE HISTORIQUE NAISSANT : LES VÊTEMENTS DE TRAVAIL.
Ce que les ressources costarmoricaines nous apprennent.
Par Pascal AUMASSON, conservateur et historien d’art
De nouvelles études montrent qu’à la différence des costumes portés occasionnellement pour des cérémonies par les populations les plus aisées de Bretagne, les habits de travail ont été portés par tous, tous les jours travaillés et partout.
Longtemps oubliée, ces « deuxièmes peaux » sont désormais abordées par les historiens comme des témoins du progrès social et des marqueurs de l’identité au travail.
Dans la Bretagne costarmoricaine du début du XXe siècle, qui constitue un terrain d’étude naissant, hommes et femmes s’en revêtent d’abord avec le peu dont ils disposent comme le montrent les salariés des papeteries Vallée à Belle-Isle-en-Terre ou les femmes dockers du port de Saint-Brieuc. Puis, affrontant les codes d’honneur des sociétés traditionnelles, achetant ces habits sur leurs propres deniers, prenant soin de leur corps exposé aux machines de la révolution industrielle et aux engins de pêche modernes, les marins, les ouvriers et les ouvrières font le succès des bleus de travail, des « gris de fatigue », des blouses, des tabliers, des combinaisons, des « cirages » puis des cirés… D’autres adoptent les apparences de leur communauté : les infirmières comme les maîtres et maîtresses des écoles laïques s’affranchissent peu à peu des vêtements religieux qui dominent encore leur profession ; facteurs, cheminots, « gens de maison », « ronds de cuir » saisis par Yvonne Kerdudo (1878-1954) photographe ambulante dans le Trégor pendant plus de quarante ans, revêtent des tenues typées et identifiées à leur tâche.
Tous peuvent compter sur des fabriques textiles spécialisées dont la société Dolmen près de Guingamp est un fleuron depuis 1922.
Paradoxalement, alors qu’aujourd’hui les tenues portées dans les travaux publics, l’agro-alimentaire, les ateliers… ont atteint une échelle normalisée, mondialisée et ultra protectrice, ouvriers licenciés, avocats, infirmières, « bonnets rouges » ou « gilets jaunes » incarnent leur mécontentement par l’abandon ostentatoire de leurs vêtements de travail.
En définitive, c’est d’une discrète expression populaire dont les habits de travail nous parlent en Côtes-d’Armor, non sans reconnaître le discret pouvoir des femmes qui se manifeste surtout dans leur rôle de couturières mais aussi lors des achats.
Illustration : Couturières itinérantes. Photographie J. Piot, 1927. Collection musée de Bretagne, Rennes