Le pays de Lannion au 17ème siècle

Le pays de Lannion au 17ème siècle.

Au 17e siècle, suite aux hivers très rigoureux de 1608-1609 et 1659-1660, aux printemps et étés froids et humides de 1626, 1630,1644, 1658, 1661, aux épidémies de peste de 1632 et 1635, aux ravages effectués par les mouvements de troupe liés aux combats de la Ligue, au laisser aller des prêtres, le moral des populations du Pays de Lannion est au plus bas. On ne sait plus à quel saint se vouer. Pas de famines relatées, mais un mauvais état sanitaire s’est établi à cause des malnutritions répétées.

De plus une institution charitable serait la bienvenue pour remplacer le petit hospice insalubre des Augustins du Porchou, établi rive gauche du Léguer.

Pierre de Coat Trédrez, seigneur local, songe à la mettre en place dès le 8 octobre 1622. Il confie ce vœu aux Capucins, moines franciscains, qui s’installent en 1633 à Crec’h Plac’h, près du Forlac’h. L’épidémie de peste de 1635 leur donnera l’occasion de manifester pleinement leur grande charité.

En 1651, le procureur du roi à Lannion : Maurice Calloët de Keranvelec souhaite à son tour que des religieuses s’implantent. Ce seront les Ursulines dont le couvent ne sera achevé que vers 1690, grâce notamment aux dons de l’abbé Jean-Baptiste Hingant de Kérisac.

Mais, entre temps des Augustines vont créer un Hôtel-Dieu, l’Hôpital Sainte-Anne, qui ouvrira en 1673 sur les terres de Loguivy gagnées sur le « palud », marais situé au bas du faubourg de Kerampont, rive gauche. L’abbé Corentin de Pilvern, disciple du Père Maunoir, sera l’insigne bienfaiteur de cette maison avec les abbés de Trémaria et de Kérisac.

Mais en même temps, la rechristianisation des populations s’est mise en marche.

Après le Concile de Trente (1545-1563), l’église catholique a pour projet de reprendre en main les croyances quelques peu déviantes du peuple chrétien. Les Jésuites créés en 1534 par Ignace de Loyola vont s’y atteler. Julien Maunoir né dans la région rennaise en 1606 entre dans la Compagnie de Jésus. Après avoir appris le breton, il est chargé de poursuivre l’oeuvre entreprise en Bretagne par le Père Michel de Nobletz (1577-1652). Ce dernier a mis au point une méthode choc pour la sensibilisation des populations : la mission.

Des prêtres séculiers sont formés, afin de délivrer la bonne parole aux ouailles qu’ils vont rencontrer dans une paroisse, pendant quatre semaines. Non seulement les habitants de l’endroit, mais aussi ceux des paroisses voisines sont convoqués à l’enseignement par leurs recteurs.

Mais laissons parler les textes.

« A pied, le bâton à la main, un sac léger sur le dos, le bréviaire sous le bras, la vingtaine de missionnaires contactés convergent vers la commune choisie par l’Evêque et le Père Maunoir. Ce même jour, de tous les points de l’horizon, de tous les chemins, de tous les sentiers arrivent des groupes serrés, en foules immenses, parfois en procession, sous la conduite de leurs recteurs, pauvres et riches, oublieux des ardeurs du soleil ou des rigueurs du froid. Tous pressent le pas dans l’espoir d’assister à quelque prodige ».

La mission proprement dite va commencer après les vêpres du dimanche, par une procession solennelle du Saint Sacrement et la lecture des indulgences liées aux exercices de piété et de charité.

Le lendemain, 4 h du matin, les cloches sonnent. Le dernier levé parmi les missionnaires attrape un gage, entendez une pénitence supplémentaire.

Après une prière à l’église, méditation de tous les fidèles, cantiques et explications du catéchisme par les prédicateurs. Déjà les premières confessions ont lieu.

C’est alors la première conférence du Père Maunoir. Il sonde par des questions-réponses le peuple, l’interroge sur ses doutes et ses difficultés, enquête sur les superstitions et les désordres connus dans les paroisses.

Dans un premier sermon, il s’inspire de ce qu’il vient d’entendre. Véhément devant la gravité des fautes, il fait peur, ce qui provoque une seconde fournée de pénitents près des confessionnaux.

S’il reste des missionnaires inactifs, ceux-ci enseignent quelques cantiques et font quelques courtes instructions religieuses, au besoin dans le cimetière.

A 10 h, second sermon où l’accent est mis sur des exhortations terribles, parlant des péchés et des rechutes, « aux misérables vers de terre qui devraient trembler devant leur culpabilité, sinon ce sera l’enfer ».

Ensuite communion et action de grâce. L’accent est mis sur l’adoration, l’humilité et la reconnaissance.

12 h, Angélus (salutation à Marie) et Te Deum avant le repas.

Ce dernier est très frugal, les paroissiens extérieurs n’amenant avec eux que le strict nécessaire pour subsister.

14 h, la séance reprend. Catéchisme du peuple, explications des tableaux : les « taolennou », véritable bande dessinée de l’époque.

16 h, sermon sur la Mort, l’Enfer, le Jugement, l’horreur des sacrilèges, le rappel des désordres les plus connus, l’obligation de faire pénitence, mais aussi, le Paradis, les Sacrements, la route assurée du Salut, comment éviter les tentations.

Enfin, salut du Saint Sacrement et prière du soir.

Voilà la journée-type. Au fur et à mesure que les jours passent, les enseignés deviennent des pénitents et l’on diminue tout le reste pour ne plus se consacrer qu’aux confessions, véritables leçons particulières.

Les jours suivants, si le carillonneur de l’aube s’est rendormi, c’est le Père Maunoir lui même qui se charge de sonner les cloches au petit matin.

Il faut également signaler deux conférences spécialisées par semaine, pour la formation des recteurs des environs qui devront assurer le suivi de la mission.

Et enfin, pour clore en apothéose ces quatre semaines de prières et de catéchisme, de pénitences et de sermons, une grande procession est organisée jusqu’à une croix, un calvaire, un oratoire ou un ossuaire.

Ces missions ont un grand succès.

« L’an 1642, lorsqu’on fit une première mission aux paroisses de l’évêché de Dol qui sont enclavées dans les évêchés de Tréguier et de Saint-Brieuc, les pères et mères fermaient les portes de leurs maisons, pour empêcher les enfants d’entendre le catéchisme. Les pauvres innocents avaient été tellement charmés par ce chant divin, dès l’entrée de la mission, qu’ils sortaient par les fenêtres de leurs maisons pour courir à l’église. »

L’attrait des belles images montrées par le prédicateur y était-il pour quelque chose ? Irruption de l’audio-visuel au plus profond de nos campagnes !

Les tableaux  de mission ou peintures énigmatiques : les « taolennou ».

Pour piquer la curiosité et parler directement au coeur, le Père Maunoir a repris, en les agrandissant et les multipliant, les tableaux de Michel Le Nobletz. S’y étalent la laideur du péché et l’Enfer promis aux libertins, mais aussi les joies du Paradis.

Il y en a pour les laboureurs, les soldats, les nobles, les pauvres. Pour les marins : une mer déchaînée, avec des écueils à éviter pour arriver à bon port, et un fanal pour éclairer la route à suivre. Pour chacun, c’est une scène de cette vie quotidienne qu’il connaît bien, où le Bien et le Mal se trouvent dépeints. Le symbolisme est évident, souligné par les missionnaires.

Différents tableaux sur les Sept péchés capitaux, la fin de l’homme, les trois classes, les vertus théologales, les huit Béatitudes, les tables de la Loi, les paraboles : enfant prodigue, bon samaritain, mauvais riche ; les tourments de l’enfer sont abondamment présentés.

Bref, cela se joue en alternant le froid et le chaud ; pour abandonner ses mauvaises habitudes, l’accent est mis davantage sur le bâton (Enfer) que sur l’envie de la carotte (Paradis).

C’est donc sur ce schéma que, dans notre Trégor, se déroulent ces missions, entre 1642 à Perros-Guirec et 1679  à Quemperven et Plestin les Grèves.

Entre temps, la région de Louannec et le Yaudet  en 1657, Lannion en 1671 et Pleumeur-Bodou en 1674, auront reçu la bonne parole.

Le Père Maunoir séjourne fréquemment au château de Kerduel en Pleumeur-Bodou. Il entraîne dans son sillage, l’abbé Le Gall de Kerdu, recteur de Servel, Marie Guyon sa fidèle assistante et l’abbé Jean Baptiste Hingant de Kérisac (1641-1679), châtelain de Kerduel, qui marié à Corentine de Saluden la perd de bonne heure. Se trouvant veuf et sans enfant, il se fait prêtre à l’exemple de son ami le Père Maunoir.

Ce dernier « Tad Mad », le « Bon Père » décède en 1683, à Plévin en Cornouailles.

Son œuvre sera poursuivie dans le diocèse de Saint-Brieuc par Jean Leuduger (1649-1722), natif de Plérin, prêtre en décembre 1673, puis docteur en théologie à la Sorbonne vers 1690.

Il anima une quarantaine de missions campagnardes, en pays gallo.

Bibliographie :

Histoire de Lannion. Impram 1974

Du côté de Perros. La TILV 1994.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>